BAL DE NOËL

Shamio poussa un gros soupir désespéré. Cela faisait seulement une demi heure qu'elle était ici mais elle en avait vu défiler des gens! Assise au bar en sirotant son fanta frais et en attendant un éventuel cavalier qui ne se présenta pas, elle se sentait misérable. La plupart des gens qui arrivait était soit déjà en couple ou bien attendait leur compagnon féminin ou masculin qui les rejoignait bientôt. S'ensuivait alors une longue séance de je-te-regarde-dans-les-yeux-en-oubliant-le-monde-autour-de-moi et de"je t'aime" chuchotés sur un ton fiévreux. La jeune fille contemplait ces déclarations enflammées suivant avec intérêt les différents couples comme dans un film. Ne manquait plus que le popcorn. Ici, un couple soi-disant amoureux dont l'un des partenaires s'empressait de mater d'autres demoiselles dès que sa chérie avait le dos tourné. Là encore, un couple tout en beauté dont le principal loisir était apparement de jouer le couple parfait. Et vas-y que je te prenne dans mes bras, que je m'agenouille à tes pieds à grand renfort de beaux mots susurés. L'hypocrisie personnifiée quoi. A croire qu'ils étaient sur une scène de théâtre. Et à la tombée du rideau, ils se sépareraient comme de simples acteurs .

Dégoutée, la jeune fille détourna les yeux et porta son verre à ses lèvres avant de se rendre compte qu'il était vide. Avec un soupir résigné, elle le reposa sur le comptoir et s'accouda au bar. Bah après tout, chaque fète avait son lot de tapisseries humaines. Sauf que d'habitude elle faisait plutôt partie des gens qui se déchaînaient sur la piste pendant que d'autres s'endormaient sur les sièges inconfortables du bar...Avec un brin d'autodérision, elle se dit que ce n'était qu'un juste retour des choses.

Arriva sur ces entrefaites un jeune homme vêtu en tout et pour tout d'une culotte à coeurs roses qui eut été ravissante sur une gamine de 10 ans. Tout le monde suivit des yeux l'énergumène qui ne semblait pas vraiment conscient de sa quasi-nudité. D'ailleurs, il s'arrêta bientôt près d'une jeune fille en robe rouge à la séduction discrète et sophistiquée. Shamio l'avait déjà croisé à plusieurs reprises dans les couloirs du Pensionnat. Elle était plutôt ancienne mais son cavalier lui était tout à fait inconnu. Réprimant le fou rire qui lui venait aux lèvres et le masquant par un sourire amusé, elle regarda le couple, aussi dissemblable que la terre et le ciel, se diriger vers la sortie, ignorant les regards qui les suivaient avec ironie, désaprobation ou curiosité.

A peine ces derniers sortis qu'un autre jeune homme, en string cette fois, apparu. Apparement, c'était la mode du moment...Shamio éclata franchement de rire à la grande surprise des personnes autour d'elle qui devaient surement se demander pourquoi elle se bidonnait toute seule. Mais elle s'en fichait royalement et avec un sourire retrouvé, elle se tourna vers le barman pour demander un autre fanta frais. Après tout, cette soirée semblait plutôt amusante et Shamio n'aurait souhaité pour rien au monde rater l'éventuelle entrée d'une autre personne en sous-vêtements.

Bien sûr, elle aurait préféré danser mais l'orchestre ne jouait pour le moment que des slows qu'il enchaînaient les uns après les autres. Il avait sans doute remarqué le nombre important de couples présents. D'ailleurs, la plupart d'entre eux étaient déjà sur la piste, perdus dans un autre monde qui leur était propre. Prenant son verre qu'un serveur venait de lui apporter, la jeune fille porta un toast à elle-même en murmurant à voix basse:

-Joyeux Noël, Shamio...

Quel horreur que de passer la fête seule, entourée de couples qui plus est. Malheureusement, la plupart de ses amis avaient quittés le Pensionnat soit définitivement, soit pour la période des Fêtes. Elle leur en voulait un peu de la laisser seule mais haussa les épaules stoïquement en se disant que ce n'était tout de même pas la fin du monde. Avec un énième soupir désabusé, elle se dit qu'il était tout de même pathétique d'être parmi une foule et de se sentir seule! Cette pensée ne la réconforta nullement et elle porta son verre à ses lèvres, l'air abattu. Oui, un bien joyeux Noël qui se présentait à elle cette année...


[O_o Prise par une fièvre littéraire xDD]

Quand le groupe de fêtards était venu frapper à sa porte pour l'emmener au bal, Daidara... euh... Roxane, plutôt, les avait envoyé bouler proprement. Lui, aller au Bal de Nowel du Pensionnat ? Et puis quoi encore ? S’abaisser à aller faire le pitre sur une piste de danse bondée, entourées de couples langoureux, non merci ! En plus, sa guitare acoustique d’un prestigieux luthier français venait tout juste d’arriver, et c’était un vrai régal de finesse et de subtilité, il n’était pas près de s’arrêter de jouer. Et puis…
Alors, les fêtards firent irruption dans sa chambre et l’emmenèrent de force au Bal, sous prétexte qu’il était réquisitionné comme barman. Par résignation, il s’était laissé faire, mais si ces trois c*** n’avaient pas fait 2 mètres et autant de large, il leur aurait montré de quel bois il se chauffait !!
Non, mais !
C’est ainsi qu’il s’était retrouvé, comme un crétin, habillé avec une négligence classieuse, derrière un comptoir, à jongler entre la vodka ou le Soho. Entre deux cocktails, il s’appuyait sur le comptoir rutilant et bien ciré et s’amusait à regarder, le sourire doucement ironique collé au visage parce qu’il n’arrivait plus à l’enlever, tant ce qu’il voyait était grotesque. Apparemment, une autre personne faisait comme lui. A quelques mètres de lui, mais derrière le comptoir, les coudes dessus, elle riait ouvertement et joyeusement. Un rire communicatif qui étira largement le sourire de Roxane. Puis, quand le jeune androgyne regarda dans la même direction qu’elle, il se retint quelques secondes puis éclata à son tour, à s’en taper les mains contre les cuisses. C’était d’ailleurs ce qu’il fit. Puis, la jeune fille lui commanda un autre Fanta. Se remettant difficilement de son hilarité, des larmes de rire perlant dans ses yeux verrons.

« - Tout d’suite, madame !, lança-t-il d’une voix joyeuse.

Il prépara le Fanta, y ajouta un tout petit peu de sucre sur le bord du verre, ainsi que du sirop de grenadine sur le sucre, et éplucha une orange qu’il trouva dans un panier à fruits. Il découpa chaque quartier d’orange en petits morceaux et en laissa tomber quelques-uns au fond du verre de soda. Puis, avec un froncement de sourcil, il se demanda si ce n’était pas trop sucré. Pour en être sûr, il vida le verre d’un trait, et fit la grimace. Trop sucré. Il recommença le Fanta sans le sucre et la grenadine, mais avec les morceaux d’orange, puis l’apporta à la jeune fille. Elle était très belle, avec de longs cheveux noirs et des yeux verts rieurs mais tristes, et il sentit son sourire glisser sur sa peau blême en la regardant. Sans un bruit, il posa le verre sur le comptoir, et s’éloigna. D’un air pensif, il mangea le reste de l’orange et entendit l’inconnue se souhaiter un «Joyeux Nowel» éteint.
Trente secondes plus tard, il tendait un de ces verres larges et courts, qui contenait un magnifique liquide ambré à la jeune fille et claironna gentiment, de sa voix douce et éraillée :

« - Joyeux Nowel, Shamio !

Lui-même tenait dans sa main droite un verre de whisky, et pas n’importe lequel. Traînant sous le bar, une belle bouteille de Glenmorangie abandonnée l’avait presque supplié pour qu’il l’ouvre. Alors…
Il adressa un petit sourire à la jeune fille, penché en avant sur le comptoir pour se retrouver à sa hauteur. En écartant machinalement une mèche de cheveux blancs de son visage fin, il lui porta un toast.

Shamio porta donc son verre à ses lèvres et but une gorgée, les yeux perdus dans la foule dansante. Puis, elle jeta un coup d'oeil étonné à son verre. Le goût de son fanta était différent. Avec un brin d'humour, elle se demanda si on ne l'avait pas droguée. Sa mère avait l'habitude de lui dire quand la jeune fille se préparait à partir pour une soirée: "Chérie, disait-elle avec son accent écossais, tu dois faire attention à ce que tu manges et boit dans ces fêtes! Les dealers n'attendent que les jeune filles naïves comme toi pour les faire tomber dans leur filets! Quand j'étais jeune..." Et Shamio s'empressait de lui dire, avec un ton amusé en levant les yeux au ciel et en collant un rapide baiser sur la joue maternelle, qu'elle allait faire attention, qu'elle n'était plus un bébé, ect.

Goûtant le liquide une seconde fois avec prudence, elle décerna une arôme d'orange. Depuis quand la drogue sentait l'orange?? Il faut avouer aussi qu'elle n'était pas vraiment experte en la matière, Dieu merci! Toutes à ses interrogations, elle vit soudain apparaître un verre devant ses yeux et entendit une personne lui souhaiter:" Joyeux Noël, Shamio" d'une voix rauque mais douce. La jeune fille était sensible aux voix. Il y en avait tant de criardes, non-mélodieuses! Mais celle-ci avait un on-ne-savait-quoi de reposant.

Levant les yeux pour essayer de mettre un visage sur une voix, elle rencontra une bouche au sourire avenant, puis un nez droit qui formait l'axe de symétrie de deux yeux dont les couleurs étaient dépareillées. Le tout était surmonté de fins cheveux blancs qui retombaient en mèches sur le visage pour le moins intéressant qui lui faisait face derrière le comptoir. Avec curiosité, elle se rendit compte que, sans sa voix clairement masculine, elle n'aurait jamais pu déterminer le sexe de son interlocuteur.

Lui rendant son sourire presque machinalement, elle prit le verre qui lui tendait après une hésitation. Elle observa alors plus attentivement le jeune homme et une lumière fit "Ting" dans son esprit: c'était le barman! Longue à la détente, Shamio?? A qui le dites-vous...Néanmoins, ses habits classiques et le tablier qu'il portait le rendait reconnaissable entre mille. L'image parfaite du parfait barman. Un cliché, une caricature appelez cela comme vous voulez mais les yeux dudits barman étaient, eux, loin d'être clichés! La jeune fille n'avait jamais vu une personne aux yeux verrons et cela la fascina encore plus que le reste du personnage. Elle s'accordait en tout cas pour trouver ce type intéressant.

-Merci!

Elle but une gorgée du liquide ambrée et faillit s'étouffer. Elle posa le verre brusquement sur la table en toussant.

-C'est plutôt fort, non?, fit-elle remarquer entre deux quintes de toux. Elle avait l'impression d'avoir la gorge en feu et avait les larmes aux yeux.

Son compagnon n'avait pas l'air de souffrir du même problème en tout cas! Il devait surement la prendre pour une handicapée mais bon tanpis, ce ne serait pas la première fois! Pourtant, une fois passé le premier instant, la boisson laissait un goût agréable dans la bouche. Ecartant le verre avec résolution, pour le moment du moins, la jeune fille afficha un sourire chaleureux au jeune homme qui la délivrait de sa solitude forcée.

-Et, puis-je vous demander votre nom? Ce n'est qu'un juste retour des choses puisque vous connaissez déjà le mien...

Distraitement, Roxane avala une petite gorgée de whisky et sentit le liquide soudain brûlant lui descendre dans la gorge. Il se mit à sourire en pensant que décidément, le Glenmorangie valait bien sa réputation. 25 ans d’âge, vieilli en fût de bourbon… Mais ce n’était pas vraiment le moment de faire une dissertation sur un whisky, aussi délicieux fût-il (futile ??xD). Avec une moue appréciative et son petit sourire invincible, il se tourna vers la jeune fille, enfin, Shamio, il le savait maintenant qu’il avait entendu son nom (naaan, jure…). De son côté, elle semblait s’étrangler avec l’excellent breuvage. Roxane rit doucement, sans aucune arrière-pensée, sans se moquer le moins du monde.

« - Ah oui, j’ai oublié de vous dire qu’effectivement, c’est plutôt fort. Mais c’est aussi très bon, non ?

Il resta quelques instants à la regarder gentiment puis porta une nouvelle fois son verre à ses lèvres fines et d’un rose très pâle. D’ailleurs, pensa-t-il en fronçant les sourcils, tout était pâle et fin chez lui. Ses longs doigts de pianiste étaient d’une blancheur inconcevable pour des membres humains, la peau de son visage était blême, ses cheveux, blancs. Même son tablier était blanc ! Enfin, ça, c’était normal.
Même sa personnalité et son charisme étaient pâles. Quel triste individu. A force d’avoir toujours été celui dont on ne se souvenait pas, son corps même devenait peu à peu transparent, pour aider les autres à ne pas faire attention à lui. Mais qu’est-ce qu’il se passerait s’il devait venir à disparaître un jour totalement ?
Allez savoir…
Il se mit à rire tout seul de sa bêtise. Devenir transparent. Et pis quoi encore ?
Négligemment, Roxane noua ses cheveux blancs qui cascadaient en longues mèches souples en un catogan, qui forma une sorte de couronne d’épi(ne)s à l’arrière de sa tête. Comme d’habitude, cela dégagea le tatouage, sur son œil gauche, mais maintenant qu’il assumait pleinement cette étrange marque, il n’avait plus aucune raison de le cacher derrière un rideau de cheveux.
Ce tatouage, d’une bête couleur rouille, formait une étoile à cinq branches sur son front puis rejoignait son œil et dessinait plus bas un drôle de motif sur sa joue. Il avait depuis un certain temps renoncé à savoir ce que cette marque faisait sur son visage depuis… depuis toujours, il lui semblait.
A ce moment, Shamio lui demanda son nom. Il lui sembla qu’elle était un peu étonnée de voir qu’il connaissait le sien. Mais peut-être n’était-ce qu’une impression.
Il y eut un moment de silence pendant lequel il ne la lâcha pas des yeux sans s’arrêter de sourire. Il se dit alors qu’elle était belle, et pas seulement jolie. Le petit quelque chose qui changeait tout, au fond de son regard vert et de son attitude. Elle avait dépassé depuis longtemps le stade de la jolie adolescente immature. Son sourire s’élargit un petit peu et il répondit :

« - Tu sais, les noms ont un drôle de pouvoir. Quand tu connais le nom de quelqu’un, tu le connais lui… Mais pour ça, il faut savoir être à l’écoute et ne pas fermer les yeux. Tu comprends ?

Bien sûr qu’elle comprenait. Quelle question stupide.

« - Donc, il ne faut jamais dire ton nom à quelqu’un sans réfléchir, c’est… privilégié.

Toujours en souriant, il parut quelques instants passionnés par ses ongles, puis il se pencha vers Shamio et lui chuchota à l’oreille :

« - Roxane.

Il l’embrassa doucement sur la joue en souriant gentiment et lança en la regardant :

« - Mais c’est un secret ! ^^

Shamio dévisageait le jeune homme qui lui faisait face en espérant être discrète. Elle l'avait déjà regardé de la tête aux pieds avec attention mais ne se lassait pas de recommencer l'examen tant elle était intriguée par son physique hors du commun. Sa curiosité atteignit son comble quand il noua ses longs cheveux blancs laissant apparaître un drôle de tatouage sur son oeil gauche. Elle se demanda s'il faisait partie d'un gang ou autre chose du même acabit mais la distance que leur imposait leur récente rencontre l'empêcha de satisfaire son insatiable curiosité.

Elle remarqua alors qu'il demeurait silencieux, les yeux fixés sur elle, la soumettant sans doute au même genre d'inspection qu'elle lui avait fait subir. Mal à l'aise, elle reprit le verre de whisky et but une gorgée pour se donner une contenance. Cette fois-ci, elle s'attendait à la sensation de brulure et, étrangement, l'apprécia. Une fois encore, elle porta le verre à ses lèvres et le but en entier, apprenant à aimer le feu qu'elle ressentait dans sa gorge et qui laissait ensuite place à une douceur presqu'aussi brulante par contraste.

Alors qu'elle en était là à s'extasier sur les milles qualités du whisky, son compagnon déclara soudain, avec un grand sourire un peu mystérieux en réponse à sa question à propos de son identité, que les noms avaient un étrange pouvoir. Elle l'écouta, amusée, développer son idée qu'elle trouvait intéressante. En effet, elle trouvait que c'était beau de penser que le nom d'une personne était comme une partie d'elle-même, et que le fait de le dire à quelqu'un était une preuve de confiance.

Cependant, elle crut que ce qu'il lui avait dit cachait en fait l'envie de ne pas lui révéler son nom et elle s'apprêtait à se résigner quand soudain, il se pencha par-dessus le comptoir pour lui murmurer à l'oreille "Roxane". Le souffle chaud et doux la fit frissoner étrangement. C'est alors qu'il lui embrassa la joue doucement avant d'affirmer, en la regardant dans les yeux, que c'était un secret.

Shamio émit un petit rire. Elle se sentait légère mais curieusement bien. Pourtant, elle était consciente de ne pas être dans son état normal. Il avait toujours suffi d'un rien pour qu'elle soit bourrée. La Shamio "normale" aurait repoussé le jeune homme et refusé de flirter avec un quasi-inconnu. Mais là, elle se trouvait tellement bien qu'elle fit taire ses scrupules et s'accouda au comptoir, face à Roxane. Prenant une voix basse aux chaudes inflexions, de manière à ce que seul son interlocuteur puisse l'entendre, elle murmura:

-Un secret? Oh, j'adoore les secrets!..Je te propose un marché: si tu danses avec moi, je te révélerai un secret moi aussi...Qu'est-ce que t'en dis?

Une part d'elle-même était horrifiée par son audace mais l'autre partie avait terriblement envie de danser, de s'amuser et, pourquoi pas?, de flirter....Sentant la soif dans sa gorge, elle oublia ses hésitations et ne pensa plus qu'à s'amuser.

Le regardant dans les yeux, la jeune fille prit son verre et le leva en s'exclamant:

-Mais d'abord, on va terminer cette bouteille de whisky! Allez, je parie que je termine mon verre avant toi!