Ame charitable de passage? [Libre]

Shamio entra dans le bar bondé en ce vendredi soir du mois de juin, les cheveux pourtant dégoulinant de la brusque averse qui l'avait surprise en plein centre-ville. Elle secoua la tête et contempla d'un air désolé ses vêtements trempés. Encore heureux que son haut était noir! Ses bras dénudés se hérissaient de chair de poule et elle les frictionna énergiquement tout en se dirigeant vers le bar afin de passer sa commande.

Elle se laissa tomber sur un tabouret haut, renonçant à discipliner ses sombres mèches rebelles et s'accouda sur le comptoir avant de crier d'une voix lasse au barman en vis à vis:

- Capuccino crème avec pépites de chocolat et lait entier. Ah, et un cookies, s'il vous plaît Jackson...

Le dénommé Jackson eut un bref sourire et s'affaira à préparer la commande de la jeune fille, habitué à ses goûts quelque peu pointilleux et extravagants. En effet, dans ces conditions, toute personne normalement constituée aurait exigé un whisky bien corsé ou tout du moins, une gentille petite bière. Mais voilà, la jeune cliente aimait faire les choses à sa façon. Et puis, tant que ça payait, il n'avait rien à y redire, lui!

Entre-temps, Shamio regardait par la fenêtre la plus proche d'un air morose, observant les quelques passants pressés de se mettre à l'abri de l'orage grondant, inconsciente des réflexions presque philosophiques qu'elle inspirait au barman. Pff, rien de pire que les orages d'été! Et dire que la météo avait annoncé un beau soleil pour toute la journée...!

Poussant un de ces soupirs théâtraux dont elle avait le secret, la jeune fille se détourna du spectacle déprimant de la pluie pour découvrir sa tasse fumante devant elle. Voilà qui allait lui remonter un peu le moral en tout cas! Et c'est avec un entrain retrouvé qu'elle s'attaqua à son goûter, déplorant néanmoins l'absence de compagnie. Que c'était triste de passer un vendredi soir seule et dans un bar en plus! Avec un brin d'humour, elle espéra qu'une âme charitable allait avoir pitié de sa solitude forcée et venir l'en égayer. Sinon, il ne lui restait plus qu'à taper la discute à Jackson. Charmante perspective...

Shamio leva un regard surpris et heureux en entendant quelqu'un l'interpeller. Elle chercha de suite la provenance de la voix secourable qui la tirait de sa solitude et découvrit une jeune femme qui lui souriait amicalement devant un verre de jus d'orange. Elle était assise au comptoir tout comme elle-même mais toute à son entrée tapageuse et humide, elle n'avait guère prêté attention à la clientèle du bar, se contentant de noter la foule qui végétait dans tous les coins.

La jeune femme possédait le genre de beauté sexy tout en étant charmante, et au vu des regards exorbités que lui lançait Jackson à intervalle régulier, son petit short aussi court que ne l'était son haut étaient tout à fait à son goût! Par ailleurs, son corps parfait - à la fois athlétique et féminin - expliquaient le début de saignement de nez que le barman s'efforçait de juguler (xD). Enfin, elle dégageait une allure chaleureuse et décontractée qui conquit Shamio laquelle lui adressa un grand sourire avant de s'exclamer:

- Wouah! J'ai jamais compris comment les gens captaient direct que je venais du Pensionnat! C'est assez troublant...

Et de se rendre compte alors que presque tous les jeunes qui traînaient dans la ville venaient du même endroit: le Pensionnat! En somme sa réflexion était débile mais Shamio était habituée aux élucubrations nébuleuses de son cerveau et ne s'en formalisait plus. Aussi, elle enchaîna, avec un sourire qui devint espiègle:

- Moi, c'est Shamio! Et toi,...? En même temps, je profite de l'occasion pour te présenter Jackson, le barman, qui n'est pas un voyeur même si son saignement de nez pourrait le laisser penser...^^

Elle avait terminé sa phrase en désignant le concerné qui la fusilla d'un regard meurtrier avant d'adresser un sourire jaune à sa voisine et de partir avec le plus de dignité possible étant donné qu'il essayait en même temps d'arrêter son écoulement de sang nasal et d'adresser à Shamio des signes mystiques qui devaient surement la maudire pour un siècle ou deux. Celle-ci lui adressa en retour un sourire innocent avant de boire une gorgée de son Capuccino. Heureusement qu'elle était déjà servie sinon il aurait surement pissé dans sa tasse! Il faudra qu'elle pense à faire attention la prochaine fois...Pff, tout ça quand on essaye d'aider les gens!...

Shamio eut un geste de recul involontaire quand son interlocutrice lui révéla son identité et son job, à savoir: Nolia, professeur de sport. Et ce n'était pas à cause de son nom, qui était plutôt joli et original avec ses consonances orientales. Mais le terme "professeur" avait projeté la jeune fille dans ses souvenirs où elle chercha frénétiquement si elle avait déjà assisté à un cours de sport avant d'arriver à la triste conclusion que non, elle n'y avait jamais mis les pieds. Aie, la jeune femme allait sûrement lui passer un savon et peut-être même, lui mettre des heures de colle...Pff, quel vendredi de m**de!

Elle décida alors de s'excuser immédiatement de son absence chronique aux cours en prétextant l'une ou l'autre maladie nerveuse héritée d'une lointaine parente africaine. Bon, ce n'était pas très crédible mais elle n'avait rien de mieux sous la main. Aussi, c'est avec une mine penaude et embarrassée qu'elle se leva et s'inclina vivement devant Nolia avant de d'affirmer:

- Je suis désolée de n'avoir encore assisté à aucun de vos cours mais je...euh...suis atteinte d'une maladie des...euh...vers...oups, je veux dire des nerfs...et...c'est...euh...héréditaire, vous comprenez et...euh...

A bout d'inspiration, Shamio s'arrêta, consciente de s'être montrée si peu convaincante que toute personne possédant des yeux en face des trous ne l'aurait pas crue une seconde. Elle se mordit la lèvre en maudissant les malheurs qui n'arrivaient jamais seuls, c'est bien connu. Mais bon là, elle avait l'impression de subir tous les cousins et cousines jusqu'au cinquième degré du malheur. En effet, ce matin déjà, elle s'était réveillé du mauvais pied, littéralement. En voulant descendre de son lit, elle avait glissé sur un jouet en plastique de son petit cobaye qu'il mordillait et laissait traîner ensuite partout. Jurant comme un charretier, elle s'était relevée pour découvrir que le petit animal en question s'était mis en tête de dormir dans l'un de ses hauts préférés qu'elle voulait mettre justement! Non, elle n'était pas hyper coquette, mais elle s'y sentait vraiment bien et ce haut avait le don de la mette de bonne humeur. Mais voilà qu'il sentait le chat - bizarre pour un cochon d'inde mais bon - et du coup, il était à mettre au lavage. Ensuite, elle s'était un peu calmée en prenant une douche brulante mais là encore, pas de bol! Alors qu'elle venait juste d'enfiler ses chaussettes et qu'elle retournait dans la salle de bain pour tenter, en vain, de dompter sa chevelure rebelle, elle marcha dans une flaque d'eau, ses chaussettes furent toutes trempées et elle détestait ça!

Bref, ça avait continué comme ça toute la journée et apparemment, la Providence avait mis le paquet sur la fin gardant l'orage et la rencontre avec un prof pour le soir. Le meilleur pour la fin, hein! Avec un soupir résigné, la jeune fille leva les yeux vers Nolia, attendant la sentence qui ne manquerait pas de tomber, se disant qu'après tout ça, elle mériterait vraiment d'être canonisée...

Shamio sentit un soulagement sans bornes l'envahir lorsque Nolia lui avoua qu'elle n'avait encore donné aucun cours depuis son arrivée, assez récente de tout évidence. Mais aussitôt, elle eut envie de se coller des gifles. Qu'est-ce qui lui avait pris de faire le premier pas et de s'excuser avant même d'être interrogée?? Si seulement elle avait tenu sa langue - hypothèse utopique et/ou fictive - elle ne se serait pas grillée toute seule comme une imbécile! Maintenant par contre, elle serait obligée de s'expliquer correctement ou elle n'éviterait pas la sanction que, pour être tout à fait honnête, elle méritait quelque peu.

Avec un énième de ces soupirs dont elle avait le secret, la jeune fille se rassit sur son tabouret et but une gorgée de son cappuccino devenu tiède entretemps - de quoi déprimer davantage au besoin - pour se donner du courage. Ceci fait, elle se tourna vers la prof qui l'observait avec attention, attendant tranquillement sa réponse. De fait, elle paraissait plutôt sympa et son jeune âge - la vingtaine apparemment - la lui rendait en outre plus accessible. Par ailleurs, elle trouva très gentille son offre de lui donner des cours particuliers au cas où elle aurait des problèmes de ce côté-là. Aussi, c'est d'un air plus assuré, quoique la mine penaude, que Shamio déclara:

- Mais non, ce n'est pas que je n'aime pas le sport. Au contraire! Je fais du karaté depuis que je suis petite et...je m'en sors plutôt bien.

Comme toujours lorsqu'elle parlait de sa passion, les yeux verts de la jeune fille s'animaient tandis qu'elle esquissait des petits gestes avec les mains pour illustrer son propos. Mais se rappelant que le sujet de la conversation ne concernait nullement le karaté, elle enchaîna avec un sourire contrit:

- Enfin bref,...Ce que je veux dire, c'est que c'est pas juste le sport: je n'assiste pas à à beaucoup d'autres cours non plus...

Puis, se rendant compte que sa dernière phrase ne jouait pas franchement en sa faveur, elle se défendit en ajoutant, agitant les mains devant elle en signe d'apaisement avant de se gratter la tête d'un air penaud:

- Mais, c'est pas de ma faute hein! C'est que...je n'aime pas me lever tôt, vous voyez, et puis, je préfère aller me promener dehors ou faire autre chose...

Voilà, elle avait tout avoué. Baissant la tête sur sa tasse, elle attendit le verdict en tournant cette dernière entre ses doigts, feignant un air désinvolte qu'elle était loin de ressentir. Bah, au moins, elle s'était montrée honnête. Le reste, ce n'était pas à elle de trancher...

Shamio écouta avec appréhension la diatribe franche et directe de Nolia, attendant avec impatience la sentence finale. Certes, on pourrait se demander ce qui pouvait motiver une telle réaction qui, au vu du passé parsemé de cours manqués de la jeune fille, paraissait quelque peu exagérée. Eh bien, si vous pensez cela, il est clair que vous ne connaissez pas la mère de la fille en question! En effet, la génitrice de Shamio était la plus charmante des femmes et prenait son rôle de mère très au sérieux. Dotée d'un caractère bien trempé dont sa fille - bien heureusement! - n'avait hérité qu'à moitié, elle faisait plier tout le voisinage - et sa propre chair bien entendu - à ses règles, utilisant la technique du bâton et de la carotte: tour à tour, elle usait de son sourire irrésistible et d'un de ses regards glacials pour arriver à ses fins. Il ne restait plus qu'à s'incliner! C'est ainsi qu'en quittant sa fille devant le Pensionnat, après une série de câlins et d'embrassades, elle avait gratifié Shamio d'un regard impénétrable avant de déclarer: "Mo duinne, si j'entends ne serait-ce qu'un écho sur ta mauvaise conduite, tu auras de mes nouvelles". Puis, elle avait penché la tête de côté avec un sourire doux assez effrayant avant de serrer à nouveau sa fille dans ses bras à l'en étouffer. Flippant?? A qui le dites-vous!

Pourtant malgré cette menace, Shamio assistait très très rarement au cours, profitant de la large liberté que leur offrait la direction. Même si elle n'avait pas hérité du caractère entier de sa mère, elles partageaient beaucoup de choses notamment leur amour pour la liberté, une obstination agaçante et la folie du nutella, mais c'est une autre histoire.

Finalement, lorsque la prof lui se leva en rajustant ses écouteurs et lui proposa de l'accompagner pour un footing, elle compris qu'elle allait passer l'éponge. Un soupir de soulagement discret lui échappa tandis qu'elle se détendait enfin. Ouf, elle était sauvée pour cette fois! Avec un sourire reconnaissant, elle déclara à Nolia:

- Merci beaucoup de ne pas me dénoncer, je vous dois une fière chandelle! Ok pour une petite représentation de karaté devant vous. Après tout, je vous dois bien ça^^

Après une hésitation, elle enchaîna avec une moue résignée:

- Et je vous promet d'essayer d'assister à plus de cours à partir de maintenant, même si ça ne m'emballe pas vraiment...

Puis, se rappelant la proposition de la prof, elle jeta un coup d'oeil par la fenêtre pour jauger le temps. De toute évidence, l'orage s'était éloigné et des parcelles de ciel bleu commençaient à apparaître entre les nuages poussés par un vent encore violent. Bah, après tout, cela lui ferait du bien un peu d'exercice. Certes, elle allait fréquemment s'entraîner au dojo, mais un footing lui serait tout de même profitable. En outre, la compagnie de Nolia lui plaisait. Elle se décida alors. Jetant quelques pièces pour régler leur addition à toutes les deux, elle se leva et déclara à son interlocutrice:

- Je suis partante pour un footing. Et je paye votre jus d'orange, ainsi on est quitte. Plus de dettes et on recommence tout depuis le début en oubliant notre statut prof/élève. Ça vous va?

Ce disant, la jeune fille tendit la main droite avec un grand sourire, attendant la réponse de Nolia.